3 févr. 2021

Les modèles de la socialité selon Alan Fiske


Alan P. Fiske est professeur de psychologie culturelle à l'UCLA. On lui doit d'avoir montré que, dans toutes les sociétés, les rapports sociaux se conjuguent selon une grammaire universelle, dont la connaissance devrait aider à une meilleure compréhension entre les cultures. On trouvera ci-après un résumé et une traduction partielle de ses thèses (*).
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Nous sommes des animaux sociaux. La socialité imprègne tous les domaines et les moments de notre vie. Dans toutes les cultures, l’interaction sociale est organisée selon quatre grands modèles : 

  (i) Le rapport de communauté (Communal Sharing - CS)
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Les acteurs sont socialement équivalents et indifférenciés dans un rapport d’interaction donné ; la conscience individuelle se fond dans la conscience collective, l’intérêt individuel dans l’intérêt collectif. On peut donner comme exemple le lien maternel, les liens familiaux, le lien amoureux, l'éthos de fraternité, d’unité et de compassion des religions monothéistes, le groupe de prière qui communie avec la souffrance d’un membre, un réseau de Peer to Peer, mais aussi les sacrifices humains, la pratique du lynchage, le crime d’honneur… A ce type de relations sociales est associé le modèle du don (stricto sensu, i.e. sans contrepartie exigible), comme mode dominant d’interaction -- ce qui correspond à la réciprocité généralisée de Sahlins.

  (ii) Le rapport d’autorité (Authority Ranking - AR)
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Les membres d’un groupe sont ordonnés selon une hiérarchie linéaire dans laquelle les subalternes manifestent de la déférence, du respect, et, éventuellement, de l’obéissance, tandis que les supérieurs doivent protection et assistance à leurs ouailles (selon le principe Noblesse oblige). Les exemples sont les structures militaires, le culte des ancêtres, le code moral des religions monothéistes (avec ses commandements), les sociétés d’ordres ou de castes, les relations de genre dans les sociétés traditionnelles... Les rapports d'AR ne sont pas basés sur la seule coercition, et l’asymétrie des positions est généralement légitimée par la coutume, ou le charisme du chef, ou la règle. A ce type de relations sociales est associé le modèle de l’échange inégal, asymétrique, comme mode dominant d’interaction : des prestations obligatoires du côté des dominés, et des prestations en retour, de type paternalistes ou clientélistes, du côté des dominants. 

  (iii) La réciprocité entre égaux (Equality Matching - EM)
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Les acteurs tiennent ici une comptabilité précise de leurs contributions respectives dans un rapport d’interaction donné. Chacun recherche, revendique l’équilibre de la relation et sait très exactement à quoi s’en tenir de ce point de vue. On peut citer comme exemples emblématiques les tontines africaines, la vendetta, la kula mélanésienne, le potlacht des Kwakiutl, l'échange des femmes entre clans alliés, la vision du monde en terme de Limited Good (Foster), les sports et les jeux vérifiant l’égalité des conditions entre les participants, la garde alternée des enfants, les corvées ménagères à tour de rôle dans un couple, le covoiturage... A ce type de relations sociales est associé le modèle de l’échange non marchand et symétrique, comme mode dominant d’interaction -- ce qui correspond à la réciprocité équilibrée de Sahlins. 

  (iv) Le rapport de Marché (Market Pricing - MP)
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Les rapports sociaux sont structurés par des rapports de taux -- prix, salaires, intérêt, impôts directs ou indirects --, ou fondés sur le calcul économique (évaluation du coût d’opportunité, analyse coûts/avantages). L'argent n'est pas nécessairement le médium des relations sociales, et celles-ci ne sont pas nécessairement compétitives, matérialistes, égoïstes – on retrouve tous ces traits aussi bien dans les autres modèles. De même, les rapports de MP ne sont pas nécessairement individualistes : une famille organisée sur le modèle CS ou AR peut tenir un commerce qui fonctionne en mode MP. Parmi les exemples typiques, on peut citer les transactions sur les marchés des biens, de la terre, du travail, ou du capital, la prostitution, la recherche de l’efficience allocative ou technique, l’orientation des politiques publiques selon les critères de l’utilitarisme benthamien ou, alternativement, de la maximisation du profit politique. A ce type de relations sociales est associé le modèle de l’échange marchand, comme mode dominant d’interaction. 

 Ces modèles sont irréductibles les uns aux autres. Certes, on peut, comme l’a fait Gary Becker, chercher à évaluer la valeur marchande des transferts interpersonnels au sein de la famille, et démontrer qu’ils sont économiquement rationnels, en tant qu’ils constituent un substitut efficient à l’échange marchand. Mais, ce faisant, on passe à côté de ce qui fait la spécificité du modèle CS : la force affective des liens familiaux, amoureux, communautaires ; le sentiment d’unité, d’appartenance mutuelle ; le souci, le besoin, le désir de l’autre ; l’empathie, la sympathie mutuelle ; le plaisir d’être ensemble. Ces modèles de la socialité, qui sont aussi des modèles pour la socialité, sont utilisés conjointement dans toutes les cultures. Ainsi, les gens utilisent fréquemment les différents modèles pour différents aspects de leur interaction avec la même personne. Par exemple, des colocataires peuvent diviser en deux parts égales le montant du loyer et faire à tour de rôle la cuisine et le ménage (EM), ils achètent les ingrédients du repas au supermarché du coin (MP), mangent et boivent ensemble sans se soucier d’établir la comptabilité de ce qui est consommé par l’un ou l’autre (CS), paient chacun le prix exact des appels téléphoniques (MP), et l’un pourra éventuellement revendre à l'autre sa vieille voiture au prix du marché de l’occasion (MP) ; sur le terrain de foot, l’un est entraîneur, et l'autre joueuse (AR).
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 Bien qu'universels, ces modèles sont utilisés dans des contextes d'interaction différents, selon des modalités différentes, avec une intensité variable. C'est ainsi que, dans les sociétés africaines traditionnelles, les villageois mettent en commun le travail, la nourriture, la terre, le territoire de chasse, l’espace de vie, et tout cela à un degré qui étonne souvent les occidentaux. Mais, dans ces mêmes sociétés, les gens ne révèlent presque jamais à leurs proches leurs actions passées, leurs projets, leurs aspirations, ou leurs sentiments – la grande familiarité des occidentaux à cet égard étonne souvent les Africains. Dans le monde occidental, c’est à l’Etat, à ses agents, qu’incombe la tâche de rendre la justice. Prévaut le modèle de l’autorité, ici rationnelle-légale (AR). En revanche, dans les sociétés africaines traditionnelles, la punition des criminels et des sorciers incombe généralement au groupe, ce qui peut donner lieu à des scènes de lynchage. C’est exactement l'inverse en ce qui concerne le choix matrimonial : dans les sociétés traditionnelles, le mariage consacre l’union de deux familles, et ce sont les chefs de famille qui procèdent à l’échange des femmes ; il s’agit là d’une prérogative des aînés, et la femme n'a généralement pas voix au chapitre ; son devoir est d’aller où ses possesseurs l’envoient et d’y servir son mari conformément aux prescriptions de la coutume. S’applique ici le modèle de l’autorité (AR). Dans les sociétés occidentales, en revanche, le choix du conjoint est basé sur l’amour. C‘est l’amour qui constitue le ciment du couple et de la famille. On est là dans le registre de la communauté (CS). De même, l’allocation du travail et sa rémunération relèvent en Occident du modèle du marché (MP) et en Afrique traditionnelle des trois autres modèles (AR quand on travaille le champ du chef, CS quand on travaille le champ familial, EM quand on s’entraide). 

 Dans tous ces domaines, les interactions sociales sont structurées selon des paradigmes familiers mais qui ne sont pas mobilisés dans les mêmes contextes. Les actions des uns peuvent paraître aux yeux des autres aussi inintelligibles, voire barbares, que les faits et gestes des parisiens pour les visiteurs persans de Montesquieu. La compréhension entre les cultures serait meilleure si chacun avait clairement à l’esprit que, dans toutes les situations, s’applique invariablement l’un ou l’autre des quatre modèles qui nous sont à tous familiers.
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. Le cas des Mossi

. Pour illustrer la nature de ces quatre types de rapports sociaux, Fiske donne l’exemple de la répartition des dons cérémoniels chez les Mossi. Un chef de famille reçoit des noix de cola, offertes par un jeune homme qui courtise une fille du lignage. Ces noix ont été achetées au marché, ce qui a invariablement donné lieu à d’intenses marchandages, où le prix est discuté en rapport avec la taille, la couleur, la fraîcheur, la quantité achetée, la saison, le lieu... Le lignage qui reçoit le cadeau procède alors au partage des noix de cola. Le chef du lignage se sert le premier, se réservant la plus grande part ; des parts successivement plus petites sont attribuées aux autres aînés, selon leur rang. S'il y a assez de noix, les jeunes hommes du lignage auront droit à une part, puis viendra le tour des femmes -- le groupe des épouses --, puis le groupe des neveux -- les fils des soeurs. Chacun de ces sous-groupes procède alors à un second partage : on constitue autant de part qu’il y a de membres, et l’on veille avec grand soin, et force discussions, à ce que les parts soient exactement égales. Quand chacun rentre chez lui avec sa provision de noix, il peut les partager avec ses enfants, ses conjoints, ses neveux, mais ici l’on fait peu attention à la taille des parts ou à l'ordre de la distribution : le modus operandi est typiquement : « tenez, voici des kolas, servez-vous ! » Cette forme de partage se rapproche des formes de la commensalité quotidienne.

 Les différents modes de partage à l'oeuvre dans ce "puiibu" correspondent aux différents modèles de rapport sociaux. On retrouve les mêmes traits caractéristiques dans tous les domaines de la vie sociale des Mossi. 

 La première transaction concerne l'achat des noix de cola. Il s’agit clairement d’un échange marchand, avec la cession volontaire d’un objet contre une somme d’argent sur la base d’un taux de change (prix) négocié. On est donc bien dans un rapport de marché. Les relations entre l’acheteur et le vendeur peuvent être impersonnelles, ponctuelles, et spécialisées. 

 Le modèle de l'autorité, qui correspond au premier stade dans la division des noix, détermine les parts respectives de chacun des ayant droits en fonction de leur rang. Les distributeurs marquent l’ordre des préséances dans l’ordre d'attribution et, le plus important, à travers la quantité et la qualité des noix allouées. La distribution est ici clairement asymétrique. Sur le même modèle, l’ordre hiérarchique commande la distribution de la parole et celle des places dans les cérémonies. Les chefs se voient souvent assignés des parts même quand ils ne sont pas présents au partage ; de façon générale, tous les cadeaux reçus par des membres du lignage en tant que représentants du lignage sont censées être redistribués vers le haut. En théorie, les chefs peuvent disposer à leur guise de tout ce qui appartient à leurs sujets. Réciproquement, ils doivent les protéger et aider ceux qui sont dans le besoin. 

 La division entre égaux suit un troisième modèle (EM), basé sur une interprétation strictement égalitaire des principes de la justice distributive: à chacun pareil ! Le partage aboutit à des parts strictement identiques, « séparées mais égales ». Dans ce modèle, les prestations des uns et des autres tendent toujours l’équilibre : c’est le règne du donnant-donnant. Cette norme commutative est appliquée dans un certain nombre de rapports entre les Mossis : par exemple, les relations entre des personnes de même statut, comme les membres d’une classe d’âge, ou des camarades. Leurs relations sont marquées par la symétrie et la réciprocité. 

 Le dernier modèle, le partage communautaire, correspond au type de division qui intervient à l'étape finale de la distribution ; il directement liée à la commensalité. A ce stade, les parts de chacun ne sont ni évaluées, ni spécifiées, ni délimitées explicitement. C’est le temps du partage communautaire, le temps de l'unité et de la solidarité du groupe. Qu’il s’agisse du travail, de transferts, ou de consommation, les participants se fondent dans un collectif indifférencié -- « nous » --, ils ne sont plus des individus. Les Mossi, dans ce type de situation, disent « nous sommes tous un », en joignant l’index et le majeur ; ils expriment ce sentiment de communauté par le terme « buudu », qui désigne la lignée ou l'appartenance ethnique, et plus généralement l’espèce. Ce type de rapports prévaut en particulier entre les frères de la même mère, et plus encore dans la relation mère-enfants. 

 En règle générale, les Mossi savent toujours à quel répertoires d’action se référer dans les différentes circonstances de la vie. Cependant, il peut arriver que, dans des situations limites, ambiguës, ou peu familières, les protagonistes se réfèrent à des modèles d’interactions différents. On en donnera trois exemples. 

 Une dispute survint lorsqu’un vieux qui avait officié comme maître de rituel lors d’un retrait de deuil, vendit sur le marché le cabri reçu en présent. Le lignage du défunt se sentit outragé. Les cabris avaient le statut de dons cérémoniels offerts aux ancêtres pour leur témoigner du respect et se concilier leurs bonnes grâces (AR), et pour célébrer la communion, l’unité, des vivants et des morts (CS). Revendre sa part du sacrifice au marché (MP), comme si ce cabri était désormais une propriété privée, constituait donc une transgression par rapport à la coutume, et une insulte faite au lignage du défunt. 

 Dans un autre cas, un groupe de teinturiers demandent à l’ethnologue de leur ramener des gants en caoutchouc de la capitale. Ce dernier achète les gants, les remet aux teinturiers, qui les reçoivent sans même un mot de remerciement, comme si c’était tout naturel. Quand l’ethnologue raconte l’histoire à un couple de voisins, ils sont indignés par la conduite des teinturiers. Peu après, ces derniers reparaissent chez l’ethnologue, avec deux poulets en cadeau. Que s’est-il passé ? Dans un premier temps, les teinturiers n’ont vu dans l’ethnologue qu’un chef blanc, et leur attitude s’inscrit logiquement dans le registre du rapport d’autorité (AR) : le chef est un pasteur qui doit veiller sur la santé de ses sujets ; en l’occurrence, il leur a offert des gants pour protéger leurs mains des agressions du colorant caustique. Dans un deuxième temps, réprimandés par les voisins, la vue prévaut que l’étranger est un hôte, auquel est dû l’hospitalité et les égards que l’on réserve à un bon voisin. Dans ce nouveau registre, celui de la réciprocité entre égaux (EM), le don des gants appelait un don en retour. 

 Enfin, lors d’une journée de travail coopératif pendant le Ramadan, un homme est accusé par ses collègues de les avoir exclus d’une distribution de nourriture. L’homme s’excuse en disant qu'on ne lui avait pas dit de les inclure. Il se justifie d’un manquement apparent aux normes du modèle de la réciprocité entre égaux, en invoquant celles du modèle d'autorité : il n’est que le simple exécutant d’une décision prise par d’autres (le donateur du festin). 

 Mais ces situations sont finalement assez rares. Beaucoup plus fréquentes sont les situations où les acteurs sont parfaitement d’accord sur le modèle d’interaction qui s’applique, mais divergent sur le mode d’emploi. Ces divergences sont à l’origine de la plupart des palabres qui occupent les loisirs des africains. 

 Par exemple, la hiérarchie au sein des lignages et entre les lignages est sans cesse contestée par les acteurs. Ses rivaux laissent entendre qu’Untel serait issu d’une branche cadette du clan, ou bien qu’il est en réalité un étranger, ou pire un esclave : dans tous les cas, on laisse entendre que ses ancêtres auraient autrefois fait allégeance aux vrais maîtres de la terre – les ancêtres de celui qui parle. L’affaire est d’importance, puisqu’elle détermine la distribution du pouvoir et de l’autorité. On retrouve ce type d’embrouilles dans toutes les sociétés paysannes. 

  Ajoutons que l’exercice de l’autorité est toujours problématique. Les chefs estiment que leurs sujets sont ingrats et indisciplinés : ils disent toujours « oui, chef » et puis font de la résistance passive ; ils affichent la plus grande déférence, mais médisent dans votre dos… Et si le chef s’efforce d’affirmer son autorité, il risque de voir ses sujets voter avec leurs pieds. 

 De même, dans le modèle EM, la réciprocité n’est pas toujours facile à définir. Untel n’est pas venu aider pour la récolte, alors qu’on lui avait donné un coup de main la semaine passée. Il dit qu’il n’a pas pu parce qu’au même moment son beau-père avait également besoin de lui. L’excuse est valable, mais la partie lésée estime qu’il aurait dû envoyer son frère pour le représenter… Ce type de situation fournit là encore une réserve inépuisable de motifs de disputes. 

  Enfin, dans le modèle MP aussi, les occasions de disputes ne manquent pas. Les œufs n’étaient pas frais, le poulet avait le choléra ; chaque fois, le commerçant se défend en alléguant sa bonne foi… Faut-il le croire ? Les opinions divergent…
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(*) Après son Master en psychologie à l’Université d’Harvard, Alan Fiske a servi quatre ans dans les Peace Corps au Malawi et au Congo. Pour les besoins de sa thèse à Chicago, il repart deux ans sur le terrain, au Burkina Faso cette fois. Deux années chez les Mossi, pendant lesquelles il a tout le loisir d’éprouver sa théorie des modèles de relations sociales. Pour une présentation d’Alan Fiske, cf. UCLA College Report, Volume 3, Winter 2005. PDF 

  Références 

 Sa théorie est parfaitement exposée dans ses deux articles de référence : 

 A. P. Fiske. Relativity within Moose ("Mossi") culture: Four incommensurable models for social relationships. Ethos 18:180-204, 1990. PDF 

 A. P. Fiske. The Four Elementary Forms of Sociality: Framework for a Unified Theory of Social Relations. Psychological Review, 99, 689-723, 1992. PDF 

 Pour une synthèse de l'ensemble des travaux, cf. son article Human Sociality, in International Society for the Study of Personal Relationships Bulletin, 14(2), 4-9 (1998). PDF

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Commentaire un peu long...

A. du P. aux A a écrit :
La compréhension entre les cultures serait meilleure si chacun avait clairement à l’esprit que, dans toutes les situations, s’applique invariablement l’un ou l’autre des quatre modèles qui nous sont à tous familiers

A propos du lien entre le type de comportement et la situation, j'ai en tête l’extrait suivant, où soudain, une seule info de plus (pénurie), fait basculer dans une définition de la situation tout à fait différente et fait adopter un comportement opposé.
La scène se passe pendant l’exode.
Mais ensuite, l’application de la terminologie de Fiske peut être sujet à discussion.
Je dirais : au départ : rapport de communauté(CS) (équivalence sociale, don)
puis rapport de marché (MP) (évaluation du coût d’opportunité, arbitrage coût/avantages).

"A une table voisine, un beau petit garçon très élégamment vêtu mais dont le manteau vert était tout chiffonné mangeait une tartine d’un air placide. Sur une chaise à côté de lui un bébé criait, couché dans un panier à linge. Mme Péricand, de son oeil exercé, s’aperçut tout de suite que ces enfants étaient de bonnes familles et que l’on pouvait leur parler. Elle s’adressa donc avec bonté au petit garçon et fit conversation avec la mère quand celle-ci apparut ; elle était de Reims ; elle jeta un regard d’envie sur le substantiel goûter des jeunes Péricand.
- Je voudrais bien du chocolat avec mon pain, maman, dit le petit garçon en vert.
- Mon pauvre chéri ! dit la jeune femme en prenant le bébé sur les genoux pour essayer de le calmer, je n’en ai pas, je n’ai pas eu le temps d’aller en acheter, tu auras un bon dessert ce soir chez grand-mère.
- Voulez-vous me permettre de vous offrir quelques biscuits ?
- Oh ! madame ! vous êtes trop aimable !
- Mais je vous en prie…
Elles parlaient du ton le plus gai, le plus gracieux, avec des gestes et des sourires qu’elles eussent pris en temps ordinaire pour accepter ou refuser un petit-four et une tasse de thé. (…) Elle éprouvait un sentiment de satisfaction en se voyant à la fois si comblée de richesses de toutes sortes et si charitable ! (…)
Mme Péricand sortit. (…) Dehors elle voulut renouveler sa provision de biscuits secs fortement écornée par ses largesses. Elle entra dans une grande épicerie.
- Nous n’avons plus rien, madame, dit la serveuse.
- Comment ? Pas un petit-beurre, pas de pain d’épice, rien ?
- Rien du tout, madame. Tout est parti.
- Donnez-moi une livre de thé, du Ceylan, n’est-ce pas ?
- Il n’y a rien, madame.
Mme Péricand se vit indiquer d’autres magasins d’alimentation, mais nulle part elle ne put rien acheter.(…)
Sur le seuil du café, elle vit (ses enfants). Ils avaient les mains pleines de chocolat et de sucre et les distribuaient autour d’eux. Mme Péricand ne fit qu’un bond.
-Voulez-vous rentrer ! Qu’est-ce que vous faites là ? Je vous défends de toucher les provisions. Jacqueline, tu seras punie. Bernard, ton père le saura, répétait-elle (…). La charité chrétienne, la mansuétude des siècles de civilisation tombaient d’elle comme de vains ornement révélant son âme aride et nue. Ils étaient seuls dans un monde hostile, ses enfants et elle. Il lui fallait nourrir et abriter ses petits. Le reste ne comptait plus."
Irène Némirovsky, Suite française, Denoël, 2004, pp 75-77

Anonyme a dit…

Je voudrais vous dire à tous que j'ai réussi à mettre fin au problème du divorce et à rétablir mon mariage. Je ne sais pas ce qui est arrivé à mon mari qu'il a demandé le divorce, j'ai essayé de le convaincre de ne pas le faire, mais il n'a pas voulu écouter, je n'avais pas d'autre choix que de chercher de l'aide partout où je pouvais penser. Et je suis allé jusqu'à contacter DR DAWN et maintenant je suis content de lui avoir demandé de l'aide. Sans l'aide du Dr DAWN, je ne sais pas ce qui serait arrivé à mon mariage car j'aimais mon mari et je ne pouvais pas supporter de le perdre. Le sort a fonctionné comme par magie, mon mari a changé et a commencé à montrer de l'amour au lieu du divorce qu'il envisageait. Je suis trop heureux que tout soit en place pour moi maintenant. Je recommanderais volontiers le Dr DAWN à tous ceux qui ont des problèmes de mariage ou de fertilité. Si vous avez besoin de l'aide d'un véritable lanceur de sorts dans n'importe quelle situation, contactez le Dr DAWN sur WhatsApp : +2349046229159
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