5 mars 2010

Les motifs sociaux de la consommation

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Dans un article paru en 1950 (1), l’économiste Harvey Leibenstein s’efforçait d’intégrer dans la théorie économique du consommateur les phénomènes d’interdépendance des fonctions d’utilité -- les effets externes, positifs ou négatifs, par lesquels la consommation des uns est affectée par la consommation des autres.

Dans le modèle standard, les courbes de demande sont construites sur le postulat que, pour un niveau de revenu donné, les choix de consommation d’un individu dépendent seulement du prix et des caractéristiques intrinsèques du produit. Or, de toute évidence, les caractéristiques extrinsèques importent aussi.

Dans une large mesure, on consomme un produit parce que les autres le consomment, pour les imiter, ou, au contraire, pour s’en distinguer. Dans un cas, on consomme pour être comme les autres, ou pour ne pas avoir moins que les autres. C’est l’effet panurge (« bandwagon effect » comme l’a baptisé Leibenstein). Ici, la consommation de certains individus augmente en ligne avec celle des autres. En d’autres cas, le contraire se produit : la consommation de certains individus diminue quand celle des autres augmente. C’est l’effet de snobisme (« snob effect »). Le snob se détourne d’un produit quand il commence à devenir populaire.

Mais les effets externes ne tiennent pas seulement à la quantité consommée par les autres. A l’encontre de la loi de la demande, il arrive parfois que l’augmentation du prix d’un bien conduise certains individus à en consommer davantage. Ces biens devenant moins accessibles, leur consommation ostentatoire acquiert alors une haute valeur de signal. C’est l’effet Veblen (2).

Avec un peu d’imagination, il n’est pas difficile de représenter graphiquement ces effets externes, et de les réintégrer dans le cadre standard de la théorie du consommateur.

¤ L’effet panurge

Cet effet est mis en évidence dans la figure 1. Considérons les effets d’une baisse du prix du niveau P2 au niveau P1. Toutes choses égales par ailleurs, et conformément à la loi de la demande, la consommation du bien augmente d’une quantité ax. Mais l’augmentation de la demande modifie les préférences du public, incitant certains individus à entrer sur le marché. En vertu de l’effet panurge, la droite de demande se déplace de Da en Dc. Finalement, la baisse des prix produit une augmentation de la demande massive, correspondant au segment ac (supérieur à ax).
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Une fois pris en compte ces externalités positives, on obtient la droite de demande DB. Comme on voit, la présence d’un effet panurge accroît fortement l’élasticité de la demande. La raison en est que l’effet prix et l’effet panurge jouent dans la même direction. L’augmentation de la demande en réponse à la baisse des prix est amplifiée par les réactions mimétiques du public en réponse à l’augmentation générale de la demande.

¤ L’effet de snobisme

Cet effet est mis en évidence dans la figure 2. Considérons à nouveau les effets d’une baisse du prix du niveau P2 au niveau P1. Conformément à la loi de la demande, la consommation du bien augmente d’une quantité ax. Mais l’augmentation de la demande modifie les préférences du public, incitant certains individus à se retirer du marché. En vertu de l’effet de snobisme, la droite de demande se déplace de Da en Db. Finalement, la baisse des prix produit une modeste augmentation de la demande, correspondant au segment ab (inférieur à ax)..
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Une fois pris en compte ces externalités négatives, on obtient la droite de demande DS. Comme on voit, la présence d’un effet de snobisme réduit fortement l’élasticité de la demande. La raison en est que l’effet prix et l’effet de snobisme sont de sens inverse. L’augmentation de la demande en réponse à la baisse des prix est contrebalancée par la réaction des snobs à l’augmentation générale de la demande.
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¤ L’effet Veblen
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Cet effet est mis en évidence dans la figure 3. Conformément à la loi de la demande, la baisse du prix du niveau P4 au niveau P3 accroît la consommation du bien -- de la quantité ST. Mais la baisse du prix modifie aussi les préférences du public, incitant certains individus à se retirer du marché. En vertu de l’effet Veblen, la droite de demande se déplace de D4 en D3. Finalement, la baisse des prix a réduit la demande, jusqu’au niveau RT (supérieur à ST).


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Après prise en compte de l’effet Veblen, on obtient la droite de demande DV. Quand l’effet Veblen l’emporte sur l‘effet prix, l’élasticité de la demande est positive, dérogeant à la loi de la demande. Il faut toutefois prendre ne compte les autres effets externes. En présence d’un fort effet Veblen, la réaction de la demande peut être amplifiée par l’effet Panurge, auquel cas l’élasticité de la demande est encore accrue. De son côté, l’effet de snobisme joue en sens inverse : si la baisse du prix réduit fortement la demande, les snobs achèteront alors plus du produit.
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Notes
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1. Harvey Leibenstein, Bandwagon, Snob, and Veblen Effects in the Theory of Consumers' Demand. The Quarterly Journal of Economics, Vol. 64, No. 2. (May 1950)
2. A noter que John Rae avait déjà tout dit sur le sujet, dès 1834, dans « Statement of Some New Principles on the Subject of Political Economy » (not. le chap. 11 : On luxury)

2 commentaires:

Paul a dit…

Bonjour,

Cet article est très intéressant. Merci. Je citerais également les bien Giffen.

La seule différence entre l'effet snobisme et l'effet Veblen, est-elle la variation des prix? Ils augmenteraient pour l'effet snobisme, et baisseraient pour l'effet Veblen. Les deux se fondant sur un aspect ostentatoire de la consommation.

Comment alors faire la différence entre l'effet Veblen et l'effet snobisme?

Paul.

Anonyme a dit…

ton article m'amène la pensée suivante:"où l'arrogance se situe à la hauteur du dédain ce qui est typique du snobisme,lequel sera toujours en effroi en regard de l'imprévisible et de cet océan de mépris...