25 janv. 2011

Taxer la malbouffe ?


Dans un rapport récent de l’OCDE, on apprend que la prévalence du surpoids augmente continûment dans les pays riches. En France, 40 % des adultes sont aujourd'hui en surpoids.
Evolution des taux de surpoids de la population adulte dans quelques pays de l’OCDE
L’obésité et l’économie de la prévention, rapport de l’OCDE, septembre 2010
Note : L’indice de masse corporelle (IMC) = Poids / taille au carré. Ex. : si Dupont mesure 2 m pour 100 kg, son IMC est de 25. Selon les normes de l’Organisation mondiale de la Santé, un poids normal correspond à un IMC compris entre 18,5 et 25. Au-dessus de 25, on est en surpoids -- et au-dessus de 30, on est obèse.
De nombreuses causes environnementales expliquent ce phénomène (cf. L’épidémie d’obésité et le multiplicateur social). Parmi elles, la malbouffe : l’abus des plats préparés, des pizzas, des hamburgers et des boissons sucrées. Pour s’en tenir à ces dernières, leur consommation par tête a triplé en vingt ans aux Etats-Unis.
Apport calorique journalier moyen provenant de la consommation de boissons sucrées aux Etats-Unis (calories par adulte et par jour)
Ounces of Prevention — The Public Policy Case for Taxes on Sugared Beverages, by Kelly D. Brownell & Thomas R. Frieden, New England Journal of Medecine, 30 avril 2009
L’attrait de ce type de produits tient à de nombreuses raisons : c’est bon, énergétique, prêt à consommer, et... pas cher. Depuis trente ans, le prix relatif des sodas a fortement baissé aux Etats-Unis : entre 1984 et 2009, leurs prix ont augmenté deux fois moins que le coût de la vie (mesuré par l’indice des prix à la consommation), et six fois moins que les prix des fruits et légumes. Dans ces conditions, les américains sont incités à consommer davantage de ces produits à haute intensité calorique, au détriment d’aliments plus diététiques, mais plus onéreux, comme les fruits et légumes. Et l’incitation est d’autant plus forte que les budgets sont plus serrés. Il n’est donc pas étonnant que la prévalence de l’obésité augmente en raison inverse du niveau de vie des ménages (cf. Obésité et statut social).
Evolution du prix relatif des boissons gazeuses, des bonbons, des fruits et légumes aux Etats-Unis, de 1978 à 2009 (base 100 en 1984)
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Ibid.
Pour endiguer l'épidémie d’obésité, certains préconisent de revoir la structure des incitations. Si l’on taxait les junk food, leur prix relatif augmenterait, réduisant l'incitation à les consommer. Ce type de solutions est caractéristique de ce que Thaler et Sustein, dans Nudge, appellent le "paternalisme libéral". Mais la taxation des junk food n'est pas sans poser quelques problèmes, exposés avec brio par Greg Mankiw dans le New York Times [1].
Le paternalisme fiscal : la taxation des vices privés
Un argument de poids en faveur de taxes spécifiques (droits d'accise) sur certains produits est que leur consommation  provoque des dommages collatéraux chez les tiers. Mais il n’est pas évident que cette logique s’applique à la consommation de sodas. Si un individu consomme trop de coca cola, cela nuit seulement à sa santé. Les partisans des taxes invoquent parfois des externalités négatives de nature budgétaire. La consommation excessive de tabac ou de junk food altère à long terme la santé des consommateurs et finit par coûter cher à la Sécurité sociale. Par suite, chacun doit payer des cotisations plus élevées, même s’il n’est ni fumeur ni obèse. Mais cet argument se retourne. Parce que ces consommateurs sont en mauvaise santé, ils meurent précocement, et coûtent in fine moins cher à la Sécu.
Mais il y a un autre argument en faveur de ces taxes. Lorsque nous consommons certains produits délétères, nous nous imposons à nous-mêmes -- plus précisément à une future version de nous-mêmes -- une externalité négative. L’individu jouit aujourd’hui de sa consommation, mais il en paiera le prix demain, sous forme d’une santé chancelante. La plupart des parents n’ont guère d’états d’âme à restreindre les choix de leurs enfants, pas toujours très concernés par les conséquences à long terme de leurs actions. Or, on ne devient pas soudainement adulte le jour de nos 18 ans. Il y a toujours un adolescent qui sommeille en nous. Taxer des produits qui procurent une satisfaction immédiate et des coûts différés nous inciterait à mieux prendre en compte le bien être de notre lointain alter ego. « Mais, se demande Mankiw, si l’on prend ce chemin, où nous arrêterons-nous ? Pourquoi ne pas taxer aussi les bonbons, les glaces, et les frites ? ». Et pourquoi ne pas subventionner la consommation de fruits et légumes et les clubs d’aérobic ? A ce rythme, on taxera bientôt la junk télé et la junk music, on subventionnera la littérature et le cinéma d’auteur. « Même adultes, conclut Mankiw, nous aimerions parfois que nos parents regardent par-dessus notre épaule et nous aident à prendre les bonnes décisions. La question est : avez-vous suffisamment confiance en l’Etat pour faire de lui votre gardien ? »



[1] Gregory Mankiw, Can a Soda Tax Save Us From Ourselves?, New York Times, June 4, 2010


3 commentaires:

Mathieu P. a dit…

En regard de cette idée, il faut probablement mettre l'étude réalisée par Raphaël Godefroy sur le précédent des taxes sur le tabac :
http://piketty.pse.ens.fr/fichiers/enseig/memothes/DeaGodefroy2003.pdf

Il y montre que l'effet désincitatif de ces taxes n'est avéré que pour les fumeurs des classes moyennes et supérieures, les fumeurs les plus modestes maintenant leur consommation.

Il est à craindre que des taxes sur la junk food aient peu ou prou le même effet.

Anonyme a dit…

Pour réduire le "trou" de la Sécu, au contraire réduisons les taxes sur tous les produits nuisant à la santé et entrainant une mort précoce.
Ensuite, à chacun ses choix.

VilCoyote a dit…

J'avais écrit un billet sur ce thème en 2008 : http://www.optimum-blog.net/post/2008/03/30/Courir-plus-pour-gagner-plus